jeudi 11 mai 2017

Ibrâhim Ibn Waçîf-Châh (fin du Xe s) : "On sait qu’il est plus aisé de détruire que de construire"


D’Ibrâhim Ibn Waçîf-Châh (fin du Xe s), l’auteur du texte reproduit ici, nous ne savons quasiment rien, sinon qu’il est l’auteur d’une Histoire de l’Égypte et de ses merveilles, rééditée dans une traduction française par Carra de Vaux, en 1984 par Sindbad (Actes Sud), sous le titre L'abrégé des Merveilles
Nous empruntons les extraits de cet auteur à Jean-Philippe Lauer, dans son ouvrage Le problème des pyramides d’Égypte (Payot, 1952), où une note précise que “le même récit se retrouve à diverses reprises dans les auteurs arabes, car les traditions recueillies par eux dérivent d’une source commune”.
par John Helffrich - 1579
Voici quelle fut la cause de l'érection des deux pyramides : Trois cents ans avant le déluge, Sourid eut un songe dans lequel il lui sembla que la terre se renversait ; les hommes s'enfuyaient droit devant eux, les étoiles tombaient et se heurtaient les unes contre les autres avec un fracas terrible ; Sourid, effrayé, ne parla à personne de ce songe, mais il fut convaincu qu'un grave événement allait se produire dans le monde. Quelques jours après, il eut un autre songe, dans lequel il lui semblait que les étoiles fixes s'abattaient sur la terre sous la forme d'oiseaux blancs et, saisissant au vol les hommes, les précipitaient entre deux montagnes qui se refermaient sur eux, et ces étoiles brillantes devenaient sombres et obscures. (....)
Alors le roi ordonna de construire les pyramides et d'y pratiquer des couloirs par où le Nil pénétrerait jusqu'à un point déterminé, puis s'écoulerait vers certaines régions de l'ouest et du Said. Il fit remplir les pyramides de talismans, de merveilles, de richesses et d'idoles ; il y fit déposer les corps des rois et, d'après ses ordres, les prêtres tracèrent sur ces monuments toutes les maximes des sages ; on écrivit donc sur tous les points possibles des pyramides, plafonds, bases, murailles, toutes les sciences familières aux Égyptiens, et l'on y dessina les figures des étoiles, on y écrivit les noms des drogues et leurs propriétés utiles et nuisibles, la science des talismans, des mathématiques, de l'architecture, toutes les sciences en un mot, et tout cela était exposé très clairement pour ceux qui connaissent leur écriture et comprennent leur langue. (...)
Quand elles [les pyramides] furent achevées, on les couvrit de haut en bas de brocart de couleur, et on institua pour elles une fête à laquelle assistèrent tous les habitants de l'Égypte. Dans la pyramide occidentale [celle de Khéphren], furent aménagés trente magasins de granit coloré, remplis de toutes sortes de richesses et d'objets divers : statues de pierres précieuses, outils de fer magnifiques, armes inoxydables, verre malléable, talismans extraordinaires, drogues simples et composées, poisons mortels. Dans la pyramide orientale [celle de Khéops], furent exécutées des chambres où étaient représentés le ciel et les étoiles, où étaient entassés ce qu'avaient fait les aïeux de Sourid en fait de statues, les parfums qu'on brûlait aux planètes, les livres qui les concernaient, le tableau des étoiles fixes et la table de leur révolution dans la suite des temps, la liste des événements des époques passées soumis à leur influence, et le moment où il faut les examiner pour connaître l'avenir, enfin tout ce qui concernait l'Égypte jusqu'à la fin des temps ; de plus, on y déposa les bassins contenant l'eau magique et autres choses semblables. Dans la pyramide peinte [celle de Mykérinos], on déposa les corps des prêtres enfermés dans des cercueils de granit noir ; avec chaque prêtre se trouvait un livre où étaient retracés les merveilles de l'art qu'il avait exercé, ses actes et sa vie, ce qui avait été fait de son temps, et ce qui avait été et sera depuis commencement jusqu'à la fin des temps ; sur chaque face des pyramides furent représentés des personnages exécutant toutes sortes de travaux et rangés d'après leur importance et leur dignité ; ces représentations étaient accompagnées de la description des métiers, des outils qui leur sont nécessaires et de tout ce qui les concerne ; aucune science ne fut négligée : toutes étaient là décrites et dessinées ; on déposa encore dans la pyramide les trésors des planètes, ce qui avait été donné aux étoiles et les trésors des prêtres, tout cela formant des sommes énormes et incalculables.
À chacune des pyramides fut assigné un gardien : la pyramide occidentale fut placée sous la garde d'une statue en mosaïque de granit ; cette statue était debout tenant à la main quelque chose comme une javeline, et coiffée d'une vipère repliée sur elle-même. Dès que quelqu'un s’approchait de la statue la vipère s’élançait sur lui, s’enroulait autour de son cou, le tuait et revenait à sa place. Le gardien de la pyramide orientale était une statue de pierre noire, tachetée de noir et de blanc, avec des yeux ouverts et brillants ; elle était assise sur un trésor et tenait une javeline. Si quelqu'un la regardait, il entendait du côté de la statue une voix effrayante qui le faisait tomber sur la face et il mourait là sans pouvoir se relever. Sur la pyramide colorée veillait une statue en pierre d'aigle (aétite), posée sur un socle de pierre semblable. Quiconque la regardait était attiré vers elle, s'y collait et ne pouvait s'en détacher qu’une fois mort. Tout cela étant achevé, les pyramides furent entourées d'esprits immatériels ; on leur égorgea des victimes, cérémonie qui devait les protéger contre quiconque voudrait les approcher, à l'exception des initiés qui auraient accompli les rites nécessaires.

Les Coptes racontent dans leurs livres que sur les flancs des pyramides est gravé un texte qui dans leur langue signifie : C’est moi Sourid, le roi qui ai élevé ces pyramides à telle et telle époque; j’en ai achevé la construction en six ans ; si quelqu'un de ceux qui viendront après moi se prétend mon égal, qu’il les détruise en six cents ans ! On sait pourtant qu’il est plus aisé  de détruire que de construire. Je les ai, après leur achèvement, recouvertes de bricart ; qu’un autre les recouvre seulement de nattes !