vendredi 9 juin 2017

La pyramide de Khéops : une visite qui “n'est pas à recommander aux vieillards, aux pléthoriques, ni aux dames à des points de vue très divers” (Albert Le Play - XIXe-XXe s.)

Albert Le Play (1875-1964) était médecin de formation. Issu d’une famille de photographes et grand voyageur, il a réalisé un tour du monde entre 1906 et 1907. Ses observations sur les pyramides de Guizeh sont extraites de son ouvrage Notes et croquis d'Orient et d'Extrême-Orient (1908)

Illustration extraite de l'ouvrage d'Albert Le Play
Les Pyramides de Gîzé forment un des cinq groupes de pyramides espacés à la limite du désert de Lybie. Elles appartenaient à des Pharaons de la 4e dynastie. Au nombre de neuf, trois d'entre elles se distinguent par leur importance : ce sont celles de Khéops, de Khéphren et de Menkéouré. L'aspect simple de ces monuments, leur architecture spéciale, unique au monde, cette masse colossale de matériaux, réduite à un petit volume qui déconcerte l'esprit mal préparé par l'imagination, étonnent au premier abord.

La construction de ces Pyramides représente un travail gigantesque dont il est difficile de se faire une idée à première vue. C'est ainsi que pour l'édification de la grande pyramide, “le lieu de la splendeur de Khoufou”, bâtie par Khéops, le “Khoufou” des Égyptiens, il aurait fallu environ 2.300.000 pierres de plus d'un mètre cube, provenant de la rive gauche du Nil. (...)

De loin, la surface des Pyramides paraît unie ; mais dès qu'on en approche, on remarque combien elle est irrégulière, rocailleuse, formant un escalier colossal, aux marches inégales et démesurées. (...)

La visite de l'intérieur des Pyramides est très intéressante, car on peut ainsi aisément se rendre compte du travail colossal qu'il a fallu pour leur édification. Khéops est en général choisie pour ce sport, car c'en est un véritablement ; on doit, en effet, à certains moments, ramper dans des couloirs sombres qui n'ont même pas un mètre de hauteur et de largeur ; en d'autres points, il faut gravir des blocs de granit qui n'ont pas loin d'un mètre de haut, et cela, dans une atmosphère chaude où règnent des odeurs diverses, mélange indéfinissable de produits volatils émanant surtout des chauves-souris et des Bédouins.
En somme, cette visite n'est pas à recommander aux vieillards, aux pléthoriques, ni aux dames à des points de vue très divers.

L'entrée dans la pyramide se fait par une ouverture ménagée au milieu de la face nord. On ne se doute pas de la quantité de détours ménagés pour arriver à la chambre murée où se trouve le sarcophage ; cette disposition spéciale avait été établie dans le but évident de soustraire le Pharaon aux recherches indiscrètes, ce qui n'a pas empêché les voleurs, à travers les siècles, de piller ces tombeaux, et les archéologues d'en fouiller les cachettes les plus intimes. La marche sur ces pierres glissantes, dans ces couloirs obscurs, est très lente ; on s'arrête à chaque instant, et, chaque fois, les guides vous demandent si vous êtes satisfait d'eux et cherchent à vous extorquer des bagchichs ; ils tirent de leurs poches des statuettes ou des scarabées qu'ils prétendent avoir trouvés dans une cachette du monument, connue d'eux seuls, ou bien, ils allument constamment des bouts de fil de magnésium qui, entre leurs mains, voient leur valeur au moins centuplée.
Enfin, après avoir parcouru des couloirs qui paraissent interminables, communiquant les uns avec les autres par des sortes de trappes ménagées dans les parois, puis une longue galerie, haute et large, dans laquelle on avance sur un plan incliné, extrêmement glissant, on parvient à la chambre funéraire dont les murs sont en granit et le plafond formé de neuf énormes dalles. Là, se trouve le sarcophage de granit vide, mutilé, sans couvercle, sans inscription.

Le retour s'accomplit dans les mêmes conditions que l'aller. C'est avec une réelle joie qu'on retrouve la lumière du jour et la liberté de ses mouvements ; c'est bien l'avis de la jeune femme anglaise dont je guettais le visage à la sortie de la Pyramide : sa figure était cramoisie, et comme je lui demandais ses impressions, son indignation était telle qu'elle ne put articuler un mot.